Complainte, variante de « il était un petit navire »
C’est un joli petit navire;
dessus la mer s’en est allé;
tant il a couru vent arrière
avec honnettes et perroquets.
Tout au plus près et tout grand largue,
que le calme l’a genopé.
Nous étions trois cents lieues au large
quand les vivres nous ont manqué.
Au bout de cinq a’ six semaines
restés sans boire et sans manger
fallut tirer la courte-paille
savoir lequel serait mangé.
Le Capitaine tient les pailles
la plus courte lui a resté.
Le Capitaine a bon courage,
pourtant ne se tient de pleurer.
Mon second, prenez le navire,
à Bordeaux le ramènerez.
Le mousse entend le Capitaine,
sitôt il se met à pleurer.
« Que diriez-vous, mon Capitaine,
Si je vous tirais du danger?
Hélas, mousse, mon pauvre mousse
que pourrais-tu pour me sauver?
Je n’ai ni parent ni parente,
ni amoureuse à me pleurer;
mon berceau fut dans la grand’hune,
ma nourrice fut un gabier.
Laissez-moi monter dans la hune;
pour vous, le sort je subirai.
En s’écriant: O Vierge mère,
sera donc moi qui serai mangé?
Le mousse monte dans la hune,
ouvre l’oeil de tous les côtés ;
Je vois la brise qui se lève,
la mer sur les brisants briser.
Mes amis, ayez patience ;
un peu plus haut je veux monter.
Il s’est dressé sur la grand’vergue,
vers le Ponant a regardé.
Ah! dis-moi, mousse, petit mousse,
ne vois-tu rien de ce côté?
Hélas! Hélas ! mon Capitaine
je vois la lame déferler.
Il est monté jusqu’aux croisettes,
vers le Levant a regardé.
Ah! dis-moi, mousse, petit mousse,
Ne vois-tu rien de ce côté?
Je vois venir trois alouettes
et derrière elles l’épervier
je vois là loin la mer qui brise,
je vois la pointe d’un clocher.
Terre ! Je vois la grande grève,
la girouette du clocher.
Je vois la flèche de l’église,
et les cloches qu’on fait danser.
Je vois la tour de Babylone,
Barbarie de l’autre côté.
Je vois les moutons dans la plaine;
et la bergère à les garder.
J’y ai sauvé mon capitaine
sans moi il aurait été mangé,
j’ai eu sa fille en mariage
et le vaisseau de dessous nos pieds ».