Deuxième chant du sud

Paroles recueillies dans CAP HORN, livre de Henry-Jacques (1947)

L’horizon est à nous, allons!
La terre, Si longtemps soumise à nos talons,
N’est plus qu’un souvenir enfermé dans les soutes.
Sous nos pieds nus la mer hennit comme un cheval,
Et chacun de ses bonds nous lance sur la route
Que la rose des vents marque d’un signe égal.
Plus de soixante fois le soleil emporté,
Jailli de l’Océan pour s’y précipiter,
Nous a dépassés dans sa course.
Le long du ciel arqué, déroulé comme un film,
Nous avons vu pâlir les feux de la Grande Ourse
Et bondir la Colombe attachée à son fil,
Cependant que fleurie à la corbeille australe
La Croix-du-Sud gonflait sa grappe de cristal
Et, qu’oublié, le Nord se renversait dans l’eau.
Nous avons, recueillant les alizés bonasses,
Foulé le raisin blond de la mer des Sargasses;
Le Pot-au-Noir nous a trempés dans son tonneau.
Nous avons eu des jours et des nuits constellés.
Nos mâts se sont blanchis à la lueur lactée,
Tandis qu’autour de nous le phosphore marin
Frottait d’un feu subtil les lames enchantées,
Créant un nouveau ciel accessible à nos mains.
Nous avons fait le point avec des yeux malades,
Et quand on relevait le soleil de midi
Sur notre front roulait un tonnerre assourdi
Et les doigts lentement brûlaient sur l’alidade.
Mais la douce minuit aux calmes de velours
Baignait le sang trop chaud d’air frais et de silence
Balançant une lune aux rayons de plein jour,
Grosse comme un soleil de France.
Nous laissons aujourd’hui les eaux du Capricorne
Au pays des chaleurs buveuses de goudron.
Chaque bond en avant nous emporte au Cap Horn…
L’horizon est à nous, allons!
Déjà les soirs plus frais font peur à la mâture,
Le gris des mauvais vents fonce le bleu du ciel.
Sous nos pieds nus la mer – plus dure
Frisotte lourdement sa perruque de sel,
Et la barre insoumise a de brusques élans.
C’est l’instant de fermer les grands panneaux de cale.
C’est là que dort la terre avec son goût d’escale…
Ne la réveillons pas au bruit de nos talons.
Nous approchons. Déjà, vers le Sud plein d’écume,
Le beaupré pêche au vol de longs morceaux de brume,
La brise qui fraîchit chante comme un violon.
L’horizon est à nous, allons !
Car nous n’avons pas peur de la pointe qu’on double
Et nous rions de voir, suspendus dans le vent,
Présages de coups durs, d’ouragan et de trouble, i
Les premiers albatros voler vers notre avant.

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