Deuxième chant du navire

Paroles recueillies dans CAP HORN livre de Henry-Jacques (1947)

Sur vos paquebots de luxe
Je ne vais pas naviguant.
Ce sont de grands autobus
Pour des messieurs élégants.

Les cargos touchent la houle
Un peu plus, de bord en bord,
Mais trop certaine est la route
Qu’ils charbonnent jusqu’au port.

Parlez-moi d’un trois-mâts barque
Aux lignes de fin roulier,
Filant ses dix nœuds grand largue
Blanc comme un oiseau voilier.

La voile, gorge et poitrine,
S’arrondissant aux agrès,
Met le trouble à nos narines
D’une odeur de linge frais.

La courbure de l’étrave
Est un chef-d’œuvre d’acier.
Chaque plaque de blindage
A l’élan associée

Donne à la coque nageuse
La force et le mouvement
Et la sacre voyageuse,
Déesse des éléments.

Chaque mat cherchant la nue
De son jet surnaturel
Est une souple colonne
Où se repose le ciel.

La voilure caressée
Avec amour par nos mains
Sur les vergues balancées
Gonfle un beau ventre de lin.

Elle baptise sa toile
D’un poétique patois :
Hunier, misaine, grand’voile,
Brigantine et cacatois.

Sa poupe arquant sur les lames
A des mouvements charnels
Comme des hanches de femmes
Que caresse l’eau de sel.

Les machines ni l’hélice
N’y font leurs bruits enragés,
Dans sa fuite souple et lisse
Seul, un frais murmure d’eau.

Le bois, le fer et le chanvre
Remplis par des cœurs marins,
Nous avons su, d’un navire,
Faire un bel être vivant.

Son existence est notre œuvre,
Nous lui soufflons notre loi
Quand nos mains dans les manœuvres
Gonflent ses poumons d’air pur.

L’ayant rempli de notre âme
En échange de sa chair,
Nous sommes mari et femme
Pour mieux posséder la mer.

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