Chant de la mort de Grand François

Paroles recueillies dans CAP HORN livre de Henry-Jacques (1947)

Le Grand François, cette nuit, va périr.
C’est tout à l’heure, en bordant la misaine,
Qu’une poulie arrachée à la peine
A trouvé sur son front l’endroit qui fait mourir.
On a pansé sa pauvre chair meurtrie
En lui disant : « T’en reviendra, mon fi! »
On a séché les gouttes de sueur
Qui; sur son front, semblaient pleurer douleur.
Le capitaine, un vieux frère la côte,
Est venu voir, en ayant vu bien d’autres.
Mais devant l’homme, et fronçant les sourcils,
Il a grogné : « Il est foutu, not’ fils! »
On ne peut rien quand la mort est à l’œuvre.
Et maintenant, la bordée en manœuvre!
Matelot, marche ou crève, il faut faire de l’Ouest!
Le Grand François est bien seul pour mourir.
Les compagnons, là-haut, sont à l’ouvrage,
La mer aux poings et le vent au visage.
Vingt hommes face au Cap ne peuvent point mollir.
Le Grand François dans sa tête blessée
Songe a son coffre, aux hardes entassées,
A ses copains qui sûrement ont deuil.
Comme ils sont loin, et lui, comme il est seul!
Lequel viendra, le temps d’une accalmie,
Le dorloter d’une parole amie?
Mais sur le pont s’écrasent grains sur grains.
Il n’est là-haut que courages marins.
La mer, hostile aux faiblards, aux malades,
Pour la servir veut tous les camarades.
Matelot, marche ou crève, il faut faire de l’Ouest!
Le Grand François est mort au jour levant.
Le sang mettait larmes a ses paupières.
Nul n’a pleuré devant tant de misère,
Mais pour les hommes forts a sangloté le vent.
Dans un morceau de toile toute neuve
On l’a cousu en songeant a sa veuve.
Pour qu’il descende au fond des eaux, d’aplomb,
On l’a chaussé de ferraille et de plomb.
La mer roulait comme un ventre de joie.
Les albatros criaient après leur proie,
Et le soleil du Cap, jaune et mal cuit,
Trempait le corps de ses rayons pou rr~s.
Mais sans faiblir, sur la route incertaine.
On s’en allait, le nez dessus sa peine…
Matelot, marche ou crève, il faut faire de l’Ouest!
On a jeté Grand François à la mer.
Adieu, garçon! Le pavillon en berne
De ses couleurs essuyait le ciel morne.
Le grand vent se signait sur nos fronts découverts.
Adieu, garçon! Ton vrai repos commence.
Les jours pour toi seront toujours dimanche.
Ton corps lassé, vers la paix des grands fonds,
Descend tout droit sur ses ailes de plomb.
Virant de bord, nous reprenons la course
Pour remonter au ciel de la Grande Ourse.
Déjà la tâche est remise à nos poings.
Adieu, garçon! La route n’attend point!
Notre douleur, dans l’effort, dans les veilles,
N’a pas le temps de devenir bien vieille…
Matelot, marche ou crève, il faut faire de l’Ouest!

Pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés.