Construction d’un aber

Pratiquant depuis plusieurs années la croisière cotière, je nourrissais un vieux rêve : faire de la randonnée sur un joli canot en bois construit de mes mains. Mais quel type de bateau choisir ? L’Aven correspondait en tous points à mes aspirations. Mais je ne pouvais disposer que des plans. Or, mon expérience se bornait à la construction de maquettes, et je savais que je n’y arriverais pas. En revanche, lorsque j’ai découvert le dossier de construction de l’Aber, dans le n°30 du Chasse-Marée, j’ai compris que mon aventure pouvait commencer : je le tenais, mon joli canot ! Il me faudra juste attendre quelques années avant de me lancer, notamment en raison du concours ‘Bateaux des côtes de France », qui m’entraînait dans le passionnant défi de la reconstitution du Forban du Bono. Cette belle chaloupe lancée, je me suis jeté a l’eau.

Un soir de novembre, après avoir dévoré plusieurs fois le dossier de construction, j’ai commencé le traçage des couples en grandeur nature. Ensuite, j’ai installé mon chantier dans le garage en bois que je m’étais construit, un local de 6 mètres sur 3, initialement prévu pour la voiture. La construction de mon Aber va durer environ 500 heures, étalées sur trois ans, car je travaille seulement le soir ou le week-end et uniquement a la belle saison. Dois-je préciser qu’une partie non négligeable de ce temps sera consacré a contempler l’œuvre accomplie et à en discuter avec les copains ? C’est aussi ça, le plaisir de la construction amateur!

De cette période, je ne garde aucun mauvais souvenir. Bien sûr, tout ne va pas toujours comme on le voudrait. Par exemple, le trévirage des lattes de bordé au niveau du bouchain n’est pas une sinécure, surtout avec le sipo qui est un bois assez nerveux et fendi£ Je m’en suis pourtant tiré tout seul, à l’aide de petits serre-joints, et je n’ai cassé que trois lattes. Une seule phase m’a paru un peu fastidieuse : le ponçage de la coque. Mais ensuite, quelle récompense de caresser le bois bien lisse D’ailleurs, aujourd’hui, alors que mon bateau est terminé, je garde la nostalgie de cette irrépressible envie qui me saisissait en fin de journée, à la perspective de passer deux ou trois heures dans mon atelier.

Une étude sérieuse du dossier m’a guidé pas à pas jusqu’au bout de la construction : les petites inquiétudes du départ se sont dissipées au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Ce document est un cours par correspondance incomparable, très précis, tout en laissant au constructeur une certaine latitude, notamment dans le choix des matériaux. Voici en tout cas quelques-unes de mes initiatives :

  • Pour la coque, les serre-bauquiéres, les courbes, les taquets, le safran, la barre, le puits de dérive et la dérive, j’ai choisi du sipo, un bois sans nœuds, assez dur, imputrescible et résistant bien à l’humidité. En revanche, les planchers, le mât, la vergue et les cloisons sont en sapin.
  • Pour le clouage du bordé, j’ai utilisé des pointes en acier galvanisé, sauf au niveau de l’étrave et du tableau, auxquels les lattes sont fixées à l’aide de vis en inox.
  • Concernant les collages, la PPU est, à mon avis, la mieux adaptée à la construction amateur. Contrairement aux produits à deux composants, elle reste d’un emploi facile, est moins exigeante en matière de température (10°C minimum) et vous laisse le temps de travailler à votre rythme. Elle est en outre d’un bon rapport qualité-prix.
  • Le plancher s’apparentant un peu à un vaigrage, j’ai décidé de le visser sur les membrures. J’y ai ménagé, en arrière du puits de dérive de part et d’autre de la quille, deux trappes de visite permettant d’assécher complètement les fonds – ma coque est parfaitement étanche, mais dans le clapot, il lui arrive comme aux autres d’embarquer un peu d’eau.
  • Pour des raisons esthétiques, j’ai fait les cloisons des caissons en petites lattes de sapin plutôt qu’en contre-plaqué. Celle de l’arrière, posée contre la dernière membrure, laisse un volume suffisant pour ranger gilets de sauvetage, sac de vêtements de rechange ou provisions de bouche.
  • Il m’a semblé souhaitable de renforcer l’étambrai par une piéce de bois collée sur le pontage avant, l’échantillonnage de ce dernier (20 mm d’épaisseur) étant à mon goût un peu faible pour encaisser les efforts imposés par les coins de calage d’un mât non haubané.
  • D’une manière générale, l’accastillage sera ainsi conçu en fonction de l’adage « trop fort n’a jamais manqué ». Les courbes et les taquets sont en deux plis de lamellé. Ferrures de gouvernail, rocambeau et crocs ont été exécutés en inox par un ferronnier local. La quille est protégée par une bande molle métallique, y compris de part et d’autre du puits de dérive. Des toletières, garnies de cuir, ont été préférées aux dames de nage, même si je rame en fait assez peu, à part pour déhaler quand la brise vient à manquer ou pour des accostages délicats.
  • Quant à la voile, Catherine Migeon, voilière au Teich (bassin d’Arcachon), m’a taillé une jolie misaine en coton d’Ecosse. Finition à l’ancienne, anneaux cousus main, du beau travail. Un tannage traditionnel est prévu pour printemps.
  • L’écoute, gréée comme indiqué dans le dossier, c’est-à-dire avec une seule poulie convient parfaitement par petite brise. En revanche, elle devient dure lorsque le vent forcit, notamment au près quand il faut border la voile d’une main en tenant la barre de l’autre. Cette année, j’ai l’intention de gréer un palan plus fort avec une poulie double et une autre simple.
  • Soucieux d’offrir à mon Aber un armement traditionnel, j’ai préféré le grappin à tout autre type d’ancre moderne. En fouillant dans un bric-à-brac, j’en ai déniché un de 5 kilos qui fera parfaitement l’affaire une fois dérouillé et passé au black.
  • Concernant les formalités administratives, je pensais qu’une simple visite de conformité suffirait pour la délivrance de la carte de circulation. Il n’en est rien tous les bateaux de 2 tonneaux construits à l’unité doivent subir un test d’insubmersibilité ! Votre coque, lestée de gueuses ou de parpaings (80 kilos pour l’Aber), sera immergée pendant 24 heures. Le règlement stipule que le livet au point le plus bas de la tonture doit rester émergé d’un centimètre minimum. En principe, vous avez le choix de l’endroit. Encore faut-il trouver un port qui n’assèche pas, ce qui n’est pas évident dans le golfe du Morbihan. En l’occurrence mon bateau sera coulé dans le bassin d’un chantier ostréicole. Pas de souci pour l’Aber ; si l’on a respecté les prescriptions du dossier de construction et que l’on a inclus les 50 litres de réserve de flottabilité, le test sera positif.

Voilà ! C’est fini. Avec la remorque d’occasion, l’opération m’aura coûté 17 000 francs. Par une belle journée de juin, Kornog a tiré ses premiers bords sur la rivière d’Etel. Il a toute sa vie devant lui. Quant à moi d’autres projets viennent déjà caresser mon esprit de constructeur amateur.

Claude Maho
Extrait du Chasse-Marée n°116, rubrique « En chantier »

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