La complainte de Jean Quémeneur

Complainte de Brest écrite par Henri Ansquer, chansonnier, entre 1900 et 1910

I
Il s’appelait Jean Quémeneur,
C’était le fils d’une demi-soeur
De la fameuse Madame Larreur,
La grande Hortense,
Celle qui tenait un caboulot
« Aux gars de Dinard et d’Saint-Malo »
Tout près d’la caserne du Dépôt
A Recouvrance ….

II
Qui n’a pas connu ces gens là?
C’était parent aux Kervella
Qui faisaient tant de tralalas
Et d’manigances
Portant voilettes et grands chapeaux,
Qu’on aurai dit, ou peut s’en faut,
Qu’ça fréquentait des amiraux
A Recouvrance…

III
Son père était pompier au Port,
Travaillant peu mais buvant fort,
Et jamais content de son sort
Comme bien on pense.
Avec sa pipe et son fanal
Il s’balladait dans l’Arsenal,
De l’Arrière-Garde au Fer-à-Cheval
A Recouvrance…

IV
Sa mère était une Kermarec,
Vous savez bien d’Lambezellec,
Une grosse sentant du bec,
Qui n’eut pas d’chance
Avec Jean, son premier mari,
Bon garçon, mais faible d’esprit,
Qui dans son grenier se pendit
A Recouvrance ….

V
C’est par une nuit qu’il vit le jour
Au 13 de la rue de la Tour,
Il faisait noir comme dans un four,
Et, pas de chance.
Avec ça un vrai temps d’canard,
D’la pluie, du vent et du brouillard
Ce qui mit la sag’femme en r’tard
A Recouvrance ….

VI
Mais le malheur vint, qui l’eût cru !
Son père, un soir qu’il était bu,
Tomba sur la tête et mourut
Sans connaissance…
Et sa mère eut ce mot touchant :
Gast ! me voilà veuve à présent,
J’aurai plus d’père pour mon enfant
A Recouvrance ….

VII
Puis sa mère mourut à son tour
Toujours au 13 d’la rue d’la Tour,
Mais sa tante Yvonne Marchadour
Qu’avait d’l’aisance
Et du coeur autant que d’l’argent,
Jura, le soir de l’enterr’ment,
De veiller sur le pitit Jean
A Recouvrance ….

VIII
Comme tous les petits enfants,
Il eut la « cocotte » à cinq ans,
Et la « toque » pendant queq’temps…
Bref, son enfance
Fut celle de tous les moutards
Que, légtimes ou bien batards
On voit courir sur les remparts…
A Recouvrance…

IX
Puis il grandit. Quand il fut grand,
Travailleur et intelligent,
Il voulut faire un vétéran,
Ici commence
L’histoire de ses amours avec
Marie-Madeleine Poulaouec,
La nièce de Jean-François Cusec
A Recouvrance ….

X
Elle était jolie comme un coeur,
Il l’épousa, fou de bonheur,
En notre Eglise Saint-Sauveur,
Ah ! Quelle bombance !
Aussi quell’ gaieté, quel entrain
Jusqu’à trois heur’ lend’main matin,
Dans les salons du P’tit Jardin
A Recouvrance ….

XI
Mais à cinq ou six jours de là
Cette drôlesse le trompa
Avec in Sigond Mait’ Calfat
Plein de prestance,
Un Sergent Major, un Fourrier,
Un Commis du port, un Pompier,
L’Agent Paugam et tout l’quartier
A Recouvrance ….

XII
Pis v’là ti pas qu’à Kervalon
Femme sans coeur et sans raison
Ell’ fit d’un Quartier Mait’ Clairon
La connaissance.
Ils s’en allèr’, bras d’sous, bras d’sus
Au pardon d’la Chapell’ Jésus,
Depuis on n’les a plus revus
A Recouvrance ….

XIII
Le pauvre Jean, pour oublier,
Se mit à boire, à s’arsouiller
Dans tous les bistrots du quartier,
A l’Espérance,
Au débit d’la mère Pouliquen,
Et même « Au retour du Tonkin »,
On n’voyait qu’lui soir et matin
A Recouvrance ….

XIV
Bref, un soir qu’il ventait très fort,
Roulant de tribord à bâbord,
Il finit dans le fond du Port
Son existence,
Ayant voulu, le pauvr’garçon,
Aidé d’son ami Kerouanton,
Larguer l’amarre du pitit Pont
A Recouvrance ….

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